Présage (extrait)

La tentation était grande de garder les yeux fermés et de rester mort. Il suffisait, Rambert en était persuadé, de le désirer fortement.

– Mais alors, questionna Rambert, quel est le sens de ceci ? Est-il possible que toutes ces années à attendre n'ait eu d'autre raison d'être que de me conduire ici ? Que ce fusil tant entretenu ne tire que deux fois ? Ma vie aura-t-elle été si vaine ?

– L'aurait-elle été moins si tu avais épuisé tes cartouches ? répliqua le chœur.

– Mais je n'ai pas vécu pour abattre un seul loup !

– Mais il n'y avait pas de raison particulière pour que tu vives. Te croyais-tu donc si important à Ses yeux ? Toi ou un autre, que Lui importe ? Il n'y a pas de plan divin dans lequel tu aurais eu rôle à jouer. Pas de sens caché à découvrir.

– Mais nous sommes Ses enfants !

– Pas plus que ne le sont les loups, les fourmis ou les brins d'herbe. S'Il s'occupe de vous, c'est uniquement parce que vous attirez Son attention. À croire que vous vous ingéniez à L'ennuyer et à L'agacer ! Que ne pouvez-vous faire comme les fleurs qui, bienheureuses d'être nées et de vivre, se contentent de frémir sous la brise et de se tourner vers le soleil.

– Si ma vie lui importait peu, pourquoi devrais-je mourir aujourd’hui ?

– Encore une fois, il n'y a pas de pourquoi. Vis ou meurs, que Lui importe ? L'univers est vaste, Il t'a déjà oublié.

– Donc, je peux vivre ?

– Pourquoi vouloir vivre ?

– Pour terminer mon travail. Pour donner un sens à ma vie.

– Tu t'échines pour rien. Il n'y a pas de sens à donner.

– Je n'en sais rien. Nous ne le saurons que quand le Livre sera fini.