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  • jlsarrato1

Dérapage 2.0... Les premières pages










Chapitre 1

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J'ai failli la rater. Ne pas la voir. Elle a surgi dans


la lumière de mes phares au dernier moment. Il faut dire qu'il pleuvait. Fort. Il pleuvait et il faisait nuit. On n'y voyait… goutte ! J'ai donné un coup de volant pour l'éviter. Un réflexe. Inutile, évidemment. Elle était debout, immobile, sur le bas-côté. C'est la peur qui m'a fait donner un coup de volant. Une peur primale, réflexe, inutile. Mon cœur s'est emballé, la voiture a esquissé une embardée, j'ai écrasé la pédale de frein, j'ai senti les pneus glisser… et puis la voiture et les battements affolés de mon cœur se sont arrêtés simultanément, dans un soupir. C'est tout. Cela n'avait été qu'une griffure. Identique à celle du chat qui veut s'échapper du bras qui le retient.

J'ai fermé les yeux. Le temps de reprendre le contrôle. Je les ai rouverts. Bon dieu, qu'il pleuvait ! C'était comme si tous les anges du ciel s'étaient mis à pisser en même temps ! Une pluie… diluvienne, comme on dit. Ça, la nuit, la lune qui jouait à cache-cache ; cette saleté de lune aussi ronde qu'une femme enceinte qui disparaissait derrière des nuages invisibles pour aussitôt réapparaître, blafarde. C’était effrayant. J'aurais pu me croire seul au monde. Seul dans un monde qui aurait cessé d'exister. Enfin pas vraiment seul puisqu'elle était là. Quelques mètres derrière moi. Debout, immobile sur le bas-côté. Elle était là, je le savais ; même si, à cause de la nuit et de la pluie, je ne pouvais déjà plus la voir à travers la vitre arrière de la voiture.

Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Debout sous une pluie battante, en pleine nuit, au milieu de nulle part, à attendre je ne sais quoi ? Qu'est-ce qu'elle attendait d'ailleurs ? Qu'est-ce qu'elle attendait pour se précipiter vers moi ? Pour venir s'abriter, trempée, dans ma voiture ? Elle m'avait forcément vu comme je l'avais aperçue. Mieux, même. Et dans ce moment où j'essayais de repérer un mouvement dans le rétroviseur, elle fixait certainement les deux yeux rouges de l'automobile qui trouaient l'obscurité et désespéraient de la voir approcher.

J'imagine qu'à sa place, passé le moment de surprise, je serais venue me réfugier en courant dans cet abri que le hasard mettait sur ma route. Je me serais précipitée, la tête rentrée dans les épaules, courbée en avant. Au lieu de quoi, il n'y avait rien dans mon rétroviseur. Seulement la nuit. J'ai essayé de me retourner, de me dévisser la tête pour mieux voir mais c'était inutile, la ceinture de sécurité me bloquait.

Je restais là à l'attendre, indécis. Peut-être avais-je rêvé l'apparition. Un arbre avait projeté son ombre sur mon pare-brise et mon cerveau avait fait le reste. Il faisait nuit. J'étais arrêté en rase campagne. Il n'y avait ni ombre ni arbre… mais ce n'était pas ce qui allait décourager mon imagination.

Je pensais à la Dame blanche. Vous savez, l'auto-stoppeuse fantôme. Elle monte dans votre voiture et, quelques centaines de mètres plus loin, dans un tournant, elle pousse un grand cri et disparaît comme ça, pouf ! Forcément, vous vous renseignez… et vous apprenez qu'une jeune fille est morte dans un accident de voiture, justement dans ce virage, quelques temps auparavant. On l'a tous racontée, cette histoire. Elle est toujours arrivée à un type qui l'a racontée à un copain qui nous l'a racontée à son tour. Je pensais à la Dame blanche en me disant que pour le coup ce n'était peut-être plus une histoire de troisième main, une histoire d’occasion, mais une aventure qui m'arrivait vraiment ! À moi ! Sauf que mon apparition n'apparaissait pas. Il n'y avait que cette saleté de nuit qui bouffait tout, ces arbustes et ces bosquets que je pouvais à peine deviner et qui bordaient cette route déserte… J'étais incapable de réfléchir avec cette pluie incessante Lourde. Brutale. Qui giflait violemment la voiture à m'en faire venir les larmes aux yeux.

J'ai secoué la tête et repris mes esprits. J'avais probablement rêvé. C'est le genre de chose qui vous arrive quand vous roulez des nuits entières, solitaire, sur ces routes de campagne où l'on ne croise jamais personne. J'ai tourné la clé de contact. Les phares se sont rallumés, pâles, éclairant d'une lueur diffuse la route grise. Je ne pouvais guère voir où elle allait au delà du capot de ma voiture. J'allais tourner la clé plus avant. J'allais redémarrer ma voiture. Je vous jure que j'allais le faire. Mais j'ai entendu un léger « Toc, toc » à la vitre côté passager. J'ai tourné la tête et j'ai vu son visage. Il flottait dans la nuit. Bizarrement éclairé… peut-être par le plafonnier de ma voiture… Je ne me souvenais plus l'avoir allumé mais peut-être s'enclenchait-il tout seul… Je ne sais pas. Je ne peux pas mettre des mots sur ce que j'ai ressenti en voyant son visage. Une vague puissante née quelque part dans mon ventre, un geyser qui s'est engouffré à travers la chair, les muscles, qui m'a envahi l'estomac, le cœur et les poumons, une crue trop soudaine pour être contenue par ma gorge. Si le corps humain est véritablement composé aux deux-tiers d'eau, alors toute cette eau venait, en une fraction de seconde, d'exploser en moi.


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