Pissenlit

Pissenlit va se marier.

Quand il s'est réveillé ce matin, aujourd’hui l'attendait au pied du lit.

C'est un joli mot « aujourd'hui ». Il gomme tous les « hier ».

Il ne reste que lui. Qu'aujourd'hui. Que Pissenlit.

Pissenlit a attendu que tout le monde soit parti.

Histoire de prendre le temps de se préparer, et peut-être aussi d'épuiser les regrets.

Ce n'est pas tous les jours que l'on se marie. Il faut le temps de dire adieu à celui que l'on a été avant de refermer la porte.

C'est joli un pissenlit. C'est une fleur-nuage si fragile, si délicate. Bouches d'enfants qui soufflent et graines qui s'envolent avec grâce... Bon voyage petit ange.

Bouches qui rient, doigts qui se tendent, tourne, tourne la ronde qui sans cesse s'agrandit...

Pissenlit est malhabile. Il tremble un peu, c'est la première fois qu'il noue une cravate. Il doit s'y reprendre à plusieurs reprises. Un coup trop lâche, un cou trop serré. Il aimerait bien que quelqu'un soit là pour l'aider.

Mais ce quelqu'un lui dirait sans doute qu'il est trop jeune pour se marier. Il essaierait de le dissuader. Il lui dirait pense à « demain ». Sauf que « demain » file à toute vitesse. A peine le temps d'une grimace, d'une larme retenue, que « demain » appartient déjà au passé. A un passé que Pissenlit veut effacer.

Et puis qu'est-ce que ça veut dire trop jeune ? Oui, il a treize ans mais que l'on en ait treize, quarante ou quatre-vingt-quinze, on est toujours un enfant face à l'éternité.

« Jean-Pierre. Je m'appelle Jean-Pierre ». La pensée s'écrit en lettres de sable dans son esprit tandis que la cravate se resserre autour de son cou.

Il sent alors un liquide chaud qui coule sur son entrejambe, ravivant le souvenir jamais éteint d'une classe de neige, d'un pyjama auréolé d'urine et de mille voix qui lancent en riant :

- Pisse-au-lit ! Pissenlit !

©Jean-Louis Sarrato